LAURENT PETIT L'eau minérale à la bouche
SAGA L'eau minérale à la bouche
EPISODE #3
Me voici devant un nouveau chef du collectif Mineral Water Natural Lover, à Annecy. Un troisième entretien qui m'a fait découvrir la face engagée d'un cuisinier totalement convaincu de son propos, et habité par sa nouvelle philosophie.
Depuis cinq ans, Laurent Petit, le chef du restaurant doublement étoilé Le Clos des Sens (Annecy) a profondément modifié sa démarche. Il est passé d’une cuisine guidée par les codes de la haute gastronomie, qui impliquent notamment de servir des mets d’exception (foie gras, homard, caviar…), à une cuisine plus éco-responsable, centrée sur les produits exceptionnels des régions qui l’entourent. Depuis son « cooking-out » comme il aime le nommer, Laurent Petit est heureux de donner du sens à sa cuisine, et pousse sa démarche en finalisant son jardin en permaculture, juste en contrebas de son restaurant. On peut parler d’une révolution personnelle car on sent chez ce chef, autodidacte, d’ordinaire discret et timide, une réelle volonté de s’exprimer et de prendre la parole sur sa nouvelle vision du métier de cuisinier.
Rencontre.
Pourquoi avez-vous changé radicalement votre approche du métier ?
Il y a eu un vrai cheminement. Cela fait vint-cinq ans que je suis au Clos des Sens. Pendant les premières années, j'ai essayé de construire une belle maison, guidée par les codes de la gastronomie et les produits magiques comme le caviar, le pigeon, le homard...et depuis 5 ans, j'ai ouvert les yeux. J'ai fait le bilan et à 50 ans, je me suis dit, c'est bien tu as coché toutes les cases: 2 étoiles au Guide Michelin, hôtel 5 étoiles, Relais & Châteaux, Grande Table du Monde...mais tout ça, ce n'est pas la vie ! Je suis grand-père de trois petits-enfants et quand vous avez une petite-fille de l’âge de 8 ans qui vous dit déjà qu’elle veut être végétarienne, ça fait réfléchir.
Ce fut une vraie prise de conscience, qui s'est concrétisée ?
J'ai fait ma crise de la cinquantaine, mon cooking-out ! Je suis passé d'une cuisine par procuration, à une cuisine libre. Aujourd’hui je me demande comment j’ai fait pour rester pendant 20 ans dans ce système qui ne me convient plus du tout. Je me suis dis qu’il fallait que je profite de l’image que je dégageais et qu'il fallait réfléchir avec plus de citoyenneté. Il me reste 10 ou 15 ans si j’ai quelque chose à dire professionnellement, je ne peux pas laisser passer ça.
De quelle manière s'est faite la transition ?
J’ai tout remis à plat du jour au lendemain et j'ai décidé d'arrêter de travailler tous les produits qui étaient à plus de 100 km d'ici. On a décidé de faire de la vraie cuisine en directe et je suis parti à la rencontre de tous les gens merveilleux qu’il y a autour, même si bien entendu, je travaillais déjà avec certains. J’ai vraiment voulu creuser le sujet. Aujourd’hui on est quatre ans plus tard, on enfonce le clou avec nos propres jardins.
La grande surprise est que la clientèle a totalement cautionné. En fait, les gens s’en foutent totalement de manger du caviar ou du homard, ce qu’ils veulent c’est passer un bon moment et se régaler. Il faut un ressenti.
Quelle est votre philosophie de cuisine aujourd'hui ?
Même quand je travaillais la Saint-Jacques, j'étais animé par la créativité. J’allais par exemple, plus mettre en avant les barbes de la Saint-Jacques que la Saint-Jacques en elle-même. Pendant des années, je dessinais mes assiettes mais c’est fini tout ça, cela doit être juste beau à l’âme et non pas "instagramable". Aujourd'hui, ma cuisine repose sur deux piliers, elle est lacustre et végétale.
Comment travaillez-vous avec les producteurs ?
Depuis quatre ans, je pars à la rencontre de tous ces pêcheurs, de tous ces producteurs, tout ce réseau de proximité que je me suis fait. Je les invite également au restaurant pour qu'ils comprennent bien ma démarche et qu'ils m'apportent leurs conseils.
Aujourd'hui, je travaille par exemple, avec un ancien banquier, en Suisse, devenu agrumiculteur, donc mes agrumes viennent d’ici, c’est fou non ?! Je cuisine une lentille extraordinaire, la lentille Beluga, produite à 40 km de chez moi par une vieille famille Suisse qui fait ça depuis 10 ans.
Même les fondamentaux de la cuisine, comme le sel et le poivre, je les trouve ici. On a des mines de sel en Suisse, à côté d’Evian, et un poivrier dans notre jardin, planté il y a 10 ans.
Les poissons sont ceux du lac, uniquement des produits sauvages. J'entretiens des relations étroites avec trois pécheurs mais on inversé le processus, ce n’est plus moi qui leur demande ce que je veux mais eux qui me disent ce qu'ils ont. Et ensuite j’interprète en cuisine, tout simplement.
Vous avez banni la viande de votre restaurant ?
La viande c'est terminé en effet. Nous ne sommes pas une région de races à viande. J’ai déjà tellement de choses à faire avec mes lacs et mes pêcheurs. Cela tient aussi de mon histoire familiale puisque mon père était boucher-charcutier et je crois que j'ai fait une overdose de viande et de charcuterie, et puis il y a la sensibilité de ma petite-fille.
En revanche, je ne suis pas anti-viande, j'en mange, et je ne m’interdis pas de rencontrer un mec génial qui va me dire qu'il a remis une poule incroyable au goût du jour.
Chez moi, le légume n’est jamais un accompagnement ni un faire-valoir, il a sa part entière et est souvent au coeur de l'assiette, comme mon plat de fenouil.
En images: qu'est-ce que le Bien Manger selon vous ?
N'avez-vous pas eu peur de l'accueil par les client et les critiques de ce changement radical ?
Certains collègues m’ont dit que j’étais fou mais d’autres m’ont encouragé à montrer qui je suis.
Avant j’étais ultra-timide, je ne rencontrais aucun client. Je rasais les murs, c’était presque maladif. Alors qu’aujourd’hui, ma cuisine ouverte, je vais à la rencontre de mes clients, je fais le tour de la salle. Je me suis mis à nu avec cette nouvelle philosophie. Ça m’a décomplexé et affranchi de toute critique. Je peux comprendre que ma cuisine, devenue très lisible et surtout très personnelle, ne plaise pas, mais je ne vais pas me battre pour qu’elle plaise. Je ne vais rien changer car je suis convaincu de mon propos, du plus profond de moi-même.
Depuis que j’ai ce parti-pris, cela a tout changé et les clients applaudissent des deux mains. Finalement, les gens n’attendent que la vérité et la sincérité du cuisinier.
En images : Quel serait le symbole de l'eau minérale pour vous ?
Pourquoi faire partie du Collectif des Minéral Water Natural Lovers ?
On doit donner du sens à ce que l'on fait. De nos jours, on est dans "Toujours Plus", dans la sur-consommation, mais il faudrait que l’on soit dans le "Toujours plus de Sens".
Je n’ai jamais voulu cautionner ces vendeurs d’eau du robinet qui la filtrent. Ils sont venus maintes et maintes fois me chercher mais j’ai dit non car je le sens trop comme un business, et je ne me retrouve pas dans la démarche.
Revendiquer qu’on sert toujours de l’eau minérale c’est faire comprendre que cette eau vient de la nature, au même titre que les produits que je mets en avant dans mon restaurant.
Après, pour pousser plus loin et mieux faire, je souhaiterais que l'on travaille sur le transport de l'eau minérale, en véhicules électriques.
Si vous souhaitez découvrir la nouvelle vision de ce chef qui a opéré une mue aussi bien personnelle que dans ses cuisines, filez au Clos des Sens, à Annecy, un véritable havre de paix où les notions de responsabilité et de local ont rarement été aussi bien portées.
Pour en savoir plus sur le Collectif Minéral Water Natural Lover, je vous invite à vous rendre sur leur page Facebook >>
Je vous dis à très vite pour le prochain entretien qui aura lieu en Alsace, à Sessenheim !